Quercus robusta
Une belle occasion de se réunir autour d'un texte coécrit par des membres des Fêlés de l'orthographe et de Brest Iroise Orthographe ! Le thème de la dictée ? Le vieux chêne de Bourg-Blanc découvert au Cloître Izella et qui daterait d'Henri IV !
Le texte :
« Quercus
robusta » : le bonheur en chênaie
N'eût été mon penchant naturel à l'effacement, sorte de paradoxe, eu
égard, en l'occurrence, à une corpulence confinant à un pseudo-embonpoint, je
m'eusse sans doute davantage étendu sur l'évocation de mon parcours et sur ce
qui a constitué la trame de ma vie.
Quoi qu'il en soit, je le dis tout de go : je suis d'Armorique, à
la suture de l'océan et de la mer celtique. Plus précisément, je demeure près
d'une halte pour voyageurs, au cœur d'un site chargé d'histoire, matérialisé
par la découverte de quelques ostraca et fragments d'assiette en glaise. Je me
plais à y imaginer le séjour avéré de moines déchaux ou d'eubages, alias
druides, vêtus du rochet et de la chasuble en batiste implorant les grâces
d'une divinité chtonienne, ou encore, à la faveur d'une syzygie, l'apparition
d'une napée gracile, vêtue d'une chlamyde diaphane, exécutant une danse rituelle champêtre.
Je
suis « Quercus robusta », « Quercus le
robuste », un chêne chenu d'ans,
mais peut-être, à peine au mitan de ma vie. Je suis plus que tricentenaire, ‒ trois
cent soixante-deux ans, suggère l'historien, et autant de cernes ‒
contemporain de Louis XIV, dit le Roi-Soleil.
Craquelé, mon rhytidome a souvent été mis à mal. Affligé d'apparents
stigmates, genre cécidie(s), aussi appelée(s) galle(s) du chêne, j'ai subi mon
lot de plaies et de bosses. J'ai affronté les affres conjuguées des vents de
noroît et des pluies cinglantes, les orages dantesques balafrés d'éclairs
somptueux. J'ai connu des froids mémorables et les disettes qu'ils traînent en
leur arroi. Ce n'est pas mon cousin, mort debout, à une demi-lieue de mes
pénates bien-aimés et figé par la dessiccation, qui me démentira. Mais
confronté à l'adversité, je suis symbole de robustesse et je cultive une
résilience prolifique en bienfaits. Ma longévité en est, vraisemblablement, la
meilleure preuve.
Je
suis, doux euphémisme, l'aîné d'une nombreuse famille, bigarrée, plutôt
hétérogène, qui vit en bonne intelligence et solidarité. Je suis « clé de
voûte » - témoin l'investissement
de mon houppier ‒ , tant ma présence
soutient l'activité et l'entrelacs de relations d'une ribambelle d'espèces
animales (avifaune, mammifères, coléoptères…), végétales et de
micro-organismes.
Je
peux le dire et je le crois profondément – mes amis dendrologues, mieux que
quiconque , me comprendront ‒ , je suis doué d'une
aptitude irréfragable au bonheur.
Texte coécrit par Gigi Robillard, Serge Paget,
François Guirriec, François Cariou et revisité avec l'aimable concours de
Charly Quéméneur.