Cent participants à la grande dictée de l'hypermarché Leclerc, Porte de Gouesnou
La presse en parle : lire l'article du Télégramme
La salle de l'espace culturelIls étaient une centaine de passionnés de langue française à
s’être déplacés à l’espace culturel de la Porte de Gouesnou pour cette dernière
animation extérieure de la saison des Fêlés de l’orthographe. Une belle classe
au cœur d’un hypermarché ! Pour cette occasion, la dictée a vraiment
quitté l’école ! Pour le plaisir de ces nombreux amoureux des mots, Henri
Le Guen, l’auteur du texte, s’inspirant d’un fait divers relaté par la presse
locale voici quelques dizaines d’années, a revisité avec humour une scène
authentique observée à une caisse d’hypermarché. Une petite fille,
« gâtionne de cinq ans », a vite raison « de la faible autorité
maternelle ». (Texte à lire ci-dessous).
Un beau moment de convivialité avant la pause estivale ! Merci à Monsieur
Le Corre, directeur, pour son accueil.
Le texte :
Mamie*, la fillette et le pot de miel !
Les minutes
d’attente aux caisses des hypermarchés ne sont-elles pas un moment privilégié
d’observation des comportements humains ?
Sous vos yeux, un échantillon grandeur nature de la diversité des
savoir-être et, de temps à autre, de
sans-gêne(s)*, d’outrecuidance(s)1*, voire de goujaterie(s)2* et de cynisme3. Témoin ce récit garanti authentique et à peine
revisité4 que fit, voici
vingt ans et quelques5,
un quotidien local.
Confirmés et champions. Madame, distinguée, créole(s)6 dorée(s), achevait ses courses au rayon boucherie :
quelques sot-l’y-laisse7
pour le repas du soir, un osso-buco8*,
de la bavette d’aloyau9…
Sa fille, une gâtionne10
de cinq ans passés, robe rouge et noir11,
à smocks12, la harcelait
de ses caprices et n’eut de cesse qu’elle lui eût13 acheté ces profiteroles14 bien fourrées
de glace qu’elle avait entraperçues* à l’entrée du magasin. Reprise pour tous. La mère, après qu’elle eut15
d’abord opposé un refus apparemment sans appel, ne put résister plus longtemps à
la stratégie éprouvée de longue date par le petit tyran, quelque(s)16subterfuge(s) qu’elle déployât17 ;
pleurs, cris, coups de pied avaient vite eu raison de la faible autorité
maternelle. Cette petite était si chou18 !
Les voici prêtes
à déposer sur le tapis roulant de la caisse
leurs emplettes pléthoriques19.
Vint alors à l’esprit de la gamine cette idée saugrenue20 de projeter son caddie (Caddie)* dans les jambes d’une gente
dame sous les yeux indifférents de la maman. La septuagénaire, bienveillante
malgré tout, glissa à l’enfant : « Fais attention, ma petite, tu
m’as fait mal ! » Rien n’y fit, ni les remarques réitérées à la môme,
ni la supplique à la mère. Pour toute réponse retentit cette phrase
inouïe : « Ma fille vit sa vie ! »
Tout près, un
monsieur, visiblement courroucé21,
se contint un instant et ne dit mot. Mais, n’y résistant plus, solennellement, tel
un grand(-)prêtre* à
l’heure de l’offrande, il s’empara d’un pot de miel et, goguenard22, le déversa sur la tête de la mère, qui s’étrangla de rage et vociféra23 :
« Mais
qu’est-ce qui vous prend ?
-
Mais rien, chère madame. Moi aussi, je vis ma
vie ! »
Et, placide24, notre homme,
après avoir jeté un regard entendu25
à l’hôtesse de caisse qui, en son for26
intérieur, devait boire du petit-lait27,
lui susurra28 :
« Vous mettrez le miel sur mon compte ! » Ce qui fut fait.
Texte rédigé par Henri Le Guen, avec la complicité de Philippe
Dessouliers, pour la relecture.
Variantes acceptées : mamy ou mammy, de
sans-gênes, d’outrecuidances, de goujateries, osso buco ou ossobuco, entr’aperçues, quelque subterfuge qu’elle déployât, Caddie, grand prêtre.
Le lexique :
1. outrecuidance : nom féminin. Confiance excessive en soi-même, estime exagérée de soi.
Fatuité.
2. goujaterie : impolitesse, muflerie.
3. cynisme :
nom masculin. Attitude qui consiste à exprimer sans ménagement des sentiments,
des opinions qui choquent le sentiment moral ou les idées reçues.
4. un récit à peine revisité : réécrit d’une manière nouvelle par un auteur,
retouché.
5. vingt ans et quelques : ellipse pour dire et quelques années de plus.
6. créoles dorées : grands anneaux d’oreilles.
7. un sot-l’y-laisse : nom masculin invariable. Morceau à la chair
très fine, de chaque côté de la carcasse d'une volaille, au-dessus du croupion.
8. un osso buco (ossobuco) : jarret de veau.
9. de la bavette d’aloyau : région lombaire du bœuf, s'étendant de
l'avant-dernière côte à la partie antérieure du bassin, renfermant le filet, le
romsteck et le contre-filet.
10. une gâtionne : familier. En Suisse, enfant trop gâtée. Au
masculin : un gâtion.
11. robe rouge et noir : la robe offrant à la fois les deux couleurs,
les deux adjectifs restent invariables.
12. à smocks : nom masculin pluriel. Fronces décoratives, rebrodées
sur l'endroit du tissu avec des fils de couleur. Robe à smocks (robe smockée).
13. qu’elle lui eût acheté : plus-que-parfait du subjonctif. L’action n’est
pas encore réalisée. Le subjonctif exprime cette virtualité.
14. ces profiteroles : nom féminin. Petits choux remplis d'une préparation sucrée (crème,
glace, etc.)
15. après qu’elle eut d’abord opposé un
refus : la locution de temps après
que est suivie d’un verbe à l’indicatif (action achevée, donc réelle). Au
contraire, la locution avant que sera toujours suivie d’un verbe au
subjonctif.
16. quelques subterfuges
qu’elle déployât : quelque …que est une locution conjonctive suivie
d’un verbe au subjonctif (ici, l’imparfait). Placé devant un nom, quelque est
adjectif et variable en nombre.
17. déployât : imparfait du subjonctif.
18.
Cette petite était si chou : adjectif invariable en nombre. Féminin rare : choute.
19. leurs emplettes pléthoriques : abondantes voire excessives.
20. cette idée saugrenue : inattendue, bizarre et quelque peu ridicule.
21. courroucé :
en colère
22. goguenard :
moqueur, narquois.
23. vociféra : hurla.
24. placide : paisible, doux et calme.
25. un regard entendu : complice.
26. en son for intérieur : dans sa conscience, au fond de lui-même.
27. boire du petit-lait : éprouver une vive satisfaction d'amour-propre.
28. susurrer :
murmurer, chuchoter.